La veille de notre arrivée dans la campagne de Mosoriot, nous avons reçu ce message de John : « Our camp construction was delayed by a month so the accommodations are a bit rough but our spirits are high. » Autant dire qu’après 5 mois de voyage dans des conditions variables et au confort discutable, nous nous demandions sérieusement à quel point les travaux avaient pris du retard. Allions-nous dormir à même le sol et nous laver à même un puits improvisé comme en Birmanie? Nous entasser au bord d’un feu étouffant dans une cuisine mal isolée comme au Vietnam? Profiter de toilettes improvisées comme… un peu partout durant notre périple? En attendant notre vol Nairobi – Eldoret qui accusera un coquet retard de 2 h 30, notre imagination a amplement le temps de s’activer.

Comme à chaque fois où nous avons douté, nous avons été graciés de nos pires cauchemars : c’est un John et un François souriants qui nous accueillent à l’aéroport, malgré l’attente. Nous sommes reconduits au camp par Kamboï, notre chauffeur désigné qui nous accompagnera partout, bravant la pluie et la boue. Affamés, nous sommes réconfortés par Mama, Chirrie et Karen qui nous concoctent de bons plats colorés et qui nous traitent aux petits oignons. Le camp est en construction, certes, mais les installations sont fonctionnelles. Seul bémol : outre la chambre de l’équipe kényane, il n’y a qu’une seule autre pièce fermée de terminée à notre arrivée. John et François dormiront à la belle étoile, dans le Tiki-bar qui nous sert aussi de salle à manger et de salle commune. Nous craignions d’arriver dans un chantier, et finalement, c’est avec tous les honneurs que pouvaient nous offrir ce camp surplombant la vallée du rift et surplombé d’un magnifique ciel étoilé que nous nous endormirons.

Premier matin au Rift Valley Ressource Center. Il est 6 h 30. Le soleil se lève à peine et nous avons rendez-vous avec John pour une course de bienvenue. Malgré son agenda surchargé, cet homme orchestre aux 1001 projets prend le temps de nous accompagner dans cette boucle de 8 km dont une partie du trajet sera emprunté par les coureurs du demi-marathon. À peine levé du lit, John s’active et nous fait part de tous ces projets tout aussi inspirants les uns que les autres : agrandissement du centre, mise en place d’un triathlon, forage de puits pour les écoles, levers de fond… Nous essayons de suivre le rythme, malgré l’altitude qui nous fait perdre notre souffle et l’énergie débordante de John qui nous fait perdre notre anglais. Nous sommes trois en quittant le camp, mais nous serons tantôt 5, 10, 20, alors que les enfants du village se joignent à nous sur leur chemin vers l’école. Peu importe leur âge, l’état de leurs chaussures ou le poids de leur sac à dos, ils nous dépasseront. Tous. Et tous arboreront leur plus beau sourire.

Malgré cet accueil digne de rois, il nous a fallu quelques jours pour nous adapter au rythme du camp, ou peut être est-ce le rythme kényan?, qui alterne entre accélérations et ralentissements (tout comme notre safari des jours précédents). « Départ prévu pour Kapsabet dans 10 minutes ». On se dépêche, on s’agite puis on attend, on attend, on attend… on s’occupe à autre chose, on oublie presque. Tout à coup, le véhicule est là. Branle bas de combats, tous en voiture! C’est tout un apprentissage de se mettre au diapason et de se laisser porter par ce rythme à contre temps. Les temps d’attentes nous semblent infiniment longs, mais une fois lancés, tout se passe dans une impressionnante effervescence.

Durant les 10 jours qu’aura duré notre séjour, nous aurons été témoin d’un nombre surprenant d’événements : le chantier du nouveau centre — dont la finition du Tiki-bar et la création de trois autres chambres pour accueillir les autres musungus qui se joignent à nous : Stacy, Bryan, Katrina, Celeste, Amanda et Sandra; le repérage d’un site pour creuser un puits et le forage dudit puits sur le terrain d’une école jusqu’alors privée d’eau; la formation de cinq jours pour de nouveaux foreurs de puits; le symposium précédant le marathon, incluant une locution de Stacy sur la course au féminin et une présentation d’Eliud Kipchoge; et finalement le marathon, avec tout ce que ça implique de calculs, de préparatifs et d’entrainements.

Au milieu de ce tourbillon, nous avons essayé de participer au mieux de nos capacités. Nous avons offert une classe d’art aux élèves d’une école primaire, installé une étagère dans la douche, appris à traire une vache, aidé pour l’accueil des participants au symposium et filmé l’événement. De tous petits pas pour faire avancer les choses.

À la réalité du quotidien au Kenya et à celle du camp, s’ajoute la vie dans cette partie du Kenya réputée pour ses coureurs. Dès le premier jour, « la source des champions » nous saute au visage. Le matin, nous sommes dépassés par les enfants qui nous accompagnent lors de nos courses, alors que nous croisons des athlètes en entrainement. Dans l’après-midi, il aura suffi d’attendre une heure au carrefour de deux rues à Kapsabet pour croiser ou discuter avec une dizaine de coureurs de niveau mondial dont aucun d’entre eux ne laissant transparaître son talent de prime abord. Le soir, nous écoutons John, François et Stacy parler d’enjeux de courses, de records, d’exploits…

Nous aurions aimé pouvoir être plus utiles et donner au Rift Valley Ressource Center autant qu’il nous aura donné, mais il semble qu’une partie de l’expérience consiste à comprendre le fonctionnement d’un tel projet avant d’apporter sa pierre à l’édifice. Nos dix jours ne sont pas suffisants pour cela. Ils nous auront permis de rencontrer des gens inspirants, accueillants et d’avoir connu le centre comme peu de gens : dans une phase intermédiaire de reconstruction. Les membres de Run for Life foisonnent de projets pour l’association et le centre, et c’est vrai : « their spirits are high ». Nous leur souhaitons beaucoup de succès et peut être aurons nous l’occasion de les aider dans le futur.

Assanti Sana Kenya

Crédit: François Prince