Je cours
Tu cours
Qu’il court
Nous courrions
Vous courûtes
Ils courussent

Le verbe courir se conjugue à tous les temps et à toutes les sauces. Nos plus lointains ancêtres ont certainement d’abord couru par esprit de survie, soit pour attraper leur lunch ou pour se sauver de leur lunch qui avait décidé, ce jour-là, d’échanger les rôles. La première trace de la course à pied comme discipline remonterait au 19e siècle av. J.-C., chez les gaéliques qui l’intégraient à leurs festivités, suivis par les Égyptiens et les Grecs durant l’Antiquité.

Aujourd’hui, il semble que tout le monde court, partout, tout le temps. Même ceux qui ne courent pas courent : on court pour rattraper le camion à ordure qui est passé plus tôt que prévu ; pour rattraper le bus, qui lui, est passé à l’heure pour une fois, mais qui aurait dû passer un peu plus tard pour nous laisser une chance de rattraper notre retard à nous dû à notre course après le camion à ordure ; pour traverser la rue avant que le feu tourne au rouge pour gagner les 30 secondes qui séparent les gens ponctuels des éternels retardataires ; pour réussir à avoir le dernier muffin à la pause-café ; pour revenir au plus vite à la maison ; pour préparer le souper en 4e vitesse ; pour arriver à temps au yoga et enfin se détendre au plus vite… pendant que nos pensées continuent de spinner tel un hamster court sans fatigue entre nos 2 oreilles. Pour plusieurs personnes, la course à pied a ceci de paradoxal : pourquoi courir dans ses temps libres alors que le quotidien est une course en soit ? Il y a quelques années, j’avais lu cet article dans lequel l’auteur répondait à cette question de la façon suivante : alors qu’on court pour tout et n’importe quoi, pourquoi ne pas courir pour le plaisir ?

Il arrive toutefois que les temps se chevauchent et qu’au plaisir de la course s’ajoute une petite dose d’adrénaline associée à la pulsion de vie qui poussait les premiers hommes à prendre leurs jambes à leur cou.

Je cours
Il court
Il me court après
COURS !
Je cours vite, vite, vite.
Nous courusses.
Que j’eusse la frousse.
Il cessa.
Je respirai.

​SOUVENIR MÉMORABLE n° 4 : Je suis en Corse, dans un tout petit village du nom de Galéria. Il est 6 h du matin, seul moment de la journée où la température est encore tolérable. Je cours, extatique, soûlée d’air pur et de paysages à couper le souffle. Au loin, une tache noire. Puis une deuxième… 3, 4, 6, 8 taches noires. J’approche. Les tâches se définissent. Des rochers ? Des rochers avec des yeux ? Des rochers avec des yeux et des cornes ? Ah ! Ben non ! Ce sont des taureaux… HAN ! DES TAUREAUX ?! OK. J’ai une camisole rouge, je cours, est-ce que ça fait de moi une capote* vivante ? Je ne sais quel miracle a opéré, mais les mammifères n’ont pas bougé. Moi et mon pouls de 260 avons rebroussé chemin, à la fois émerveillés et énervés à souhait.

Cap du torero

SOUVENIR MÉMORABLE N° 3 : Je suis à Montréal, dans une ancienne carrière transformée en parc. Il est 6 h du matin. Il fait encore nuit, mais plus pour longtemps. Dans quelques minutes le soleil se lèvera, moment magique et méditatif tant attendu. Je cours, extatique, avec ce sentiment d’être seule au monde. Jusqu’à ce que je constate que, non, je ne suis pas seule. Au loin, une silhouette se définit : un monsieur. Un monsieur louche. Un monsieur louche et qui avance vers moi. Un monsieur louche, qui avance vers moi et qui semble vouloir honorer le lever du soleil en baissant son pantalon. Cette salutation au soleil me sort de mon moment de paix intérieure et m’invite à prendre mes jambes à mon cou et à courir au pace cours pour ta vie. Tassez-vous les Kenyans. La p’tite Montréalaise a la chienne !**
** I wish !

SOUVENIR MÉMORABLE N° 2 : Je suis en France, dans un lieu-dit dit du Castelet. Il est 6 h du matin. Il fait jour, il fait beau. Première course seule dans cette contrée jusqu’alors inconnue. Entre la mer, les montagnes et les vignes, je cours, extatique. J’oublie que je n’ai aucun sens de l’orientation ; qu’il n’y a qu’à Montréal où tous les chemins mènent à Rome et que partout ailleurs, les routes tournent en rond-point et en point de non-retour. J’oublie et je m’oublie. Je cours quand tout à coup je le vois courir lui, le gros chien, qui m’oblige à m’arrêter. J’essaie de lui parler, de le raisonner, de lui demander de partir, mais il n’en fait rien. Je continue à marcher en espérant que ce moment interminable aura une fin, mais je m’enfonce sur une route qui ne débouche que sur une montagne. Je ne sais plus quand ni comment le chien m’a lâché, mais je me souviens qu’après avoir été libérée de ce poids, il me restait encore à régler la problématique du retour : comment retrouver sa route quand tu es perdue et que le village semble déserté ? J’ai finalement croisé un couple fort sympathique qui n’arrivait pas à s’entendre sur le chemin à prendre… Misère…

SOUVENIR MÉMORABLE N° 1 : Nous sommes au Mexique, dans un petit village dont je ne révélerai pas le nom pour des questions de sécurité. Il est 6 h du soir. Nous venons d’apprendre que tous les bâtiments qui entourent celui où nous logeons appartiennent à des individus pour le moins louches qui n’entendent pas à rire. La tension qui nous habite depuis la tombée de cette nouvelle nous empêche d’être extatiques. Cette petite boule de stress augmentera en cours de course, atteignant une taille considérable à la traversée d’un premier quartier de manoirs apparemment inhabités où les seules âmes que nous croisons sont des portiers qui ont oublié leur sourire en cours de route et des gros chiens qui ont l’air méchant-méchant. Nous poursuivons, un peu plus tendus et un peu plus petit dans nos shorts, vers le village où-vivent-les-vrais-mexicains-et-non-les-gringos. Dès notre arrivée, nous devenons des boules de nerfs alors qu’un premier POW se fait entendre. On sursaute. Jeff se veut rassurant et me dit que c’est le bruit d’un pneu qui éclate. J’ai envie d’y croire jusqu’à ce qu’un 2e, un 3e et un 4e POW retentissent, toujours à équidistance de nos running shoes. Si ce sont des pneus,  ils n’appartiennent pas à une voiture, mais plutôt à un dix-huit roues parce que les POW nous poursuivent. Après un 5e, un 6e et même un 7e POW, et une implosion due à notre stress qui atteint son paroxysme, on se dit qu’il est peut-être temps de retourner vers la playa.