On parle souvent de l’impact que peuvent avoir des rénovations ou la venue d’un premier enfant sur le couple. Rarement (jamais ?) aborde-t-on les répercussions de la préparation pour un marathon sur la vie à deux. Et pourtant…

​Toronto. Octobre 2015. Je complète mon premier marathon, lui, son 4e. Nous sommes tous les deux euphoriques, tous les deux ravis de notre performance, tous les deux qualifiés pour Boston.

Pour les néophytes, sachez que ne participe pas à Boston qui veut et que le processus pour s’y rendre est looooong. Il faut d’abord compléter un marathon dit « qualificatif », avec un temps de qualification qui dépend du sexe et de l’âge. Il faut ensuite attendre — dans notre cas presque un an — pour les inscriptions qui durent quelques minutes à peine. Une fois l’inscription complétée, et payée — parce qu’il faut pouvoir se l’offrir ce marathon mythique dont la seule inscription est d’une coquette somme frôlant les 350 $ us —  il faut attendre, encore, de savoir si on est accepté. Dépendant du nombre de personnes inscrites dans votre catégorie, de leur temps de qualification, de l’alignement des astres et du cycle lunaire, vous serez accepté, ou non. Vous êtes accepté ? Vous êtes content, voire euphorique, encore. À présent, place à la deuxième partie, non moins longue, du processus : l’entrainement.

Aujourd’hui, à moins d’un mois du jour J, nous avons couru plus de 5015 minutes ou 83,5 h ou 965 kilomètres. Ces 4 derniers mois, nous avons courus dans la neige, la slush, la gadoue, le froid, le vent, le plus chaud et le re-froid. Après avoir planifié nos soirées, nos week-ends entiers, notre régime, nos activités, notre budget en fonction de ce marathon. En 4 mois, l’euphorie de participer ensemble à ce marathon mythique a cédé le pas à l’écœurantite aiguë, puis, depuis quelques jours, à la résilience : c’est tough, c’est long, mais c’est Boston. Donc GO. Cours.

Nous avons couru chacun plus de 965 kilomètres, dont une grande partie ensemble. Pour le meilleur et pour le pire.

Pour lui, l’entrainement se déroule bien. Il fait quand même fret, ça prend quand même la majeure partie de son temps libre, ça vient quand même avec un régime à l’Arnica et des rendez-vous d’ostéo, de masso et d’acupuncteur, pour éviter que les petits bobos ne deviennent de réelles embûches, mais ça va.

De mon côté, c’est plus ardu. Je doute comme jamais. J’angoisse. Je panique même. Je vous jure qu’hyper ventiler en courant à -20 C avec des rafales à 35 km/h en montant l’avenue des Pins, ce n’est pas top. Et parce que la course c’est au moins autant une affaire mentale que physique, ce doute qui s’insinue sournoisement peut être fatal.

En plus, d’être anxieuse, j’ai la course capricieuse : le seuil de l’appartement ne peut être franchi qu’une fois ma routine dite « des 25 — pipis-nerveux » complétée ; avec un l’estomac fragile, je dois tout calculer minutieusement pour éviter de me tordre en cours de route ; aux prises avec un syndrome de Raynaud, je gèle des doigts et des orteils dès qu’il fait moins que 8 °C ; ayant les bronches sensibles, je sille et je cherche mon souffle dès que le mercure atteint les barres du -1 °C… bref, je suis capricieuse.

Et comme si ça ne suffisait pas, je suis chialeuse : parce que moi qui a toujours eu un appétit insatiable pour la course je suis écœurée de courir ; que l’idée d’avaler encore des kilomètres alors que je n’ai plus faim me donne mal au ventre ; parce que je ne veux plus manger une autre bourrasque en pleine bouille alors que j’essaie de reprendre mon souffle après une série d’intervalles ; parce que c’est juste too much ; parce que je me sens leeeeeente et parce que j’ai mal à l’ego de courir loin derrière lui et loin derrière l’ombre de la coureuse que j’étais à mes débuts ; parce que je rage d’avoir l’impression de faire de la course stationnaire dans la slush alors que je mets tout ce que j’ai pour avancer ; et parce que j’ai besoin de sortir le méchant, parce que toutes les raisons sont bonnes, je chiale.

Quand coureuse rime avec anxieuse, capricieuse et chialeuse : ouch ! Il faut être fait fort. Pas moi là. LUI ! Se gérer c’est une chose, mais devoir conjuguer avec 2 entraînements de marathon, c’est un autre défi ! Ça veut dire se taper les crises de paniques, de larmes, de nerfs parce qu’il fait trop froid, trop venteux, trop pentu ; s’arrêter à 25 minutes de la maison, en pleine montée sur Christophe-Colomb, parce que l’autre (bibi) craque et hurle sous le regard étonné des badauds « au diable Boston ! Le marathon ce n’est pas pour
moi ! * » ; compromettre son entrainement et faire le deuil de cette longue sortie parce que tu ne veux pas la laisser seule, pour son bien et celui des badauds qui maintenant courent plus vite que toi pour fuir la bête enragée contre le monde entier d’avoir craqué… Ça veut aussi dire la rassurer même si tu es un peu frustré parce que merde ! C’est pas facile pour personne et que toi aussi tu bosses dur pour atteindre tes objectifs, bon !

Bref, courir à deux ça ne veut pas nécessairement dire flotter main dans la main sur un arc-en-ciel avec des puttos qui lancent des fleurs. Non. Ça veut parfois dire faire des compromis, des deuils, avancer dans un silence qui en dit long, rentrer à la maison, se battre pour savoir qui aura droit à la douche chaude avant l’autre… Ça veut aussi dire parfois faire un petit bout chacun de son côté pour se laisser un espace salutaire.

Mais une fois la côte remontée, la tension retombée, la douche prise et le les nerfs calmés, je pense à celui qui a marché à mes côtés le temps que la tempête se calme et je me dis qu’à quelques mois de notre départ pour un tour du monde, c’est rassurant quand même de savoir qu’il est là, qu’on est là, même dans les moments plus difficiles. Amenez-en des rénos ! Nous, on a survécu un entrainement pour Boston.

* Dans les faits, un nombre non négligeable de sacres étaient inclus dans les paroles exprimées, mais par souci de préserver la sensibilité de certains, je vous fais grâce des détails gratuitement vulgaires de cet épisode peu glorieux de mon entraînement. Si vous avez assisté à la scène, je vous offre mes excuses les plus sincères.