PARTIE 1: GAB VEUT SAVOIR
Pourquoi as-tu commencé à courir ?
Oui, tient, pourquoi ?
Moi qui trouvai ça tellement absurde de courir sans buts. Un ballon, une balle, une raquette, peu importe, mais donnez-moi quelque chose après quoi courir que diable !

​Je suis un gars. J’ai un peu du mal à grandir. J’étais toujours sur un rythme de vie festive le weekend, mais mon corps, lui, savait que le cap de la trentaine était passé. Comme ça ne m’était jamais arrivé, je me suis mis à grossir. J’avais conscience qu’il fallait que je me bouge un peu. Avec de vieilles baskets et des t-shirts en cotons.

J’ai donc fini par me décider à aller courir un peu pour voir. C’était à Salon-de-Provence, le long du canal du Midi. De temps en temps, entrainé par monsieur D. Il m’a même emmené courir en sentier une fois. Je me suis rendu compte qu’on n’a pas l’air si con que ça à courir tout seul. Je manquais de constance, mais la graine était plantée.

C’est en arrivant à Montréal que sans vraiment m’en rendre compte la course s’est immiscée dans ma vie.

Là où j’ai eu la chance d’être accueilli le premier mois, je n’avais pas le choix de monter la colline. Ma première course, le lendemain de mon arrivée, j’ai dû courir 15 minutes, je pense. Je suis revenu trempé de sueur et les genoux rouges. Mais ça ne m’a pas empêché de continuer. 3 fois par semaine. Mon objectif était d’atteindre les 45 minutes minimum. J’avais entendu dire que c’est la durée à partir de laquelle on puise dans ses réserves. Et puis je partais le matin à jeun pour accentuer le phénomène

Nouvelle ville : nouveau rythme et nouvelles habitudes. La première de ses habitudes que j’ai conservée a été la course.
J’ai quand même mis quelques mois avant de m’acheter des chaussures dignes de ce nom ou un short adapté. Je suis un peu têtu parfois il parait.

Pourquoi continues-tu à courir ?
Ça a marché : en 1 an, j’ai perdu plus de 10 kilos.
Faire du sport, ça m’a apporté une dose de tonus, d’adrénaline, d’énergie dans mon quotidien que je n’avais pas ressenti depuis longtemps. Aujourd’hui, je le ressens moins par contre le manque de course me rend rapidement soupe au lait. Donc, mon cœur, tout le monde a intérêt que je continue à courir.

Je pense que je continue à courir, car je suis rapidement passé à la phase 2. J’ai rencontré ma coach madame N. et mon partenaire, monsieur L.
N. avait la faculté d’aller toujours piquer ma curiosité et mon goût de l’expérimentation. Voilà comment j’ai suivi des cours de poterie par exemple. Je pense que ma mère ne la remerciera jamais assez pour cette magnifique pièce de céramique niveau CM1 que je lui ai offert à Noël.

Pour en revenir à la course, N. a réussi à nous persuader, L. et moi, qu’on était capable de faire 10 km en février par -15 °c puis 21 km à l’automne et d’aimer ça.

On a tellement aimé ça qu’on a continué sur notre lancée en réalisant notre premier marathon à Ottawa au printemps suivant. Et on a suivi le plan de qui ? De notre coach bien sûr. Elle s’en est ensuite retournée vers d’autres horizons avec son boulanger de compagnon, son œuvre accompli.
Préparer des échéances pendant 1 an oblige à intégrer la course dans son quotidien. À tel point qu’ensuite c’est naturel. C’est même un exutoire essentiel. Et puis, soit L., soit l’un ou l’autre de nos amis, soit toi ma belle, il y a tout le temps quelqu’un qui te propose de participer à une course ou de l’accompagner dans son entrainement.

Après quoi tu cours, pour partir comme ça en voyage ?
Je cours après les découvertes, les aventures, l’enrichissement, le « comment ils font eux ? », « Qu’est qu’ils en pensent là-bas ? ».
Je cours après toi, après nous, après ce que sera notre couple. Je cours après le sens de ma vie. Je cours après « que fait-on ensuite ? ».

Vais-je trouver tout ça ? Vais-je en trouver une partie ?
Comme sur la ligne de départ de Hopkinton, il est impossible de savoir de quoi sera fait le chemin. Il est impossible de savoir comment ni en combien de temps je rejoindrai la ligne.
Je la rejoindrai c’est sûr. J’ai juste à m’élancer, mettre un pied devant l’autre et voir où ça me mènera.
Je cours après la beauté du monde et prendre le temps d’en profiter. Je cours parce qu’« on n’est pas des bœufs après tout ». Parce que j’ai eu la piqure du voyage en novembre 2008 au Maroc grâce à mon cousin G.

 

 

PARTIE 2: JEFF VEUT SAVOIR
Quel est ton plus beau souvenir de course ?

J’en ai plusieurs… c’est difficile de choisir ! Je me souviens particulièrement d’une course en Corse, ma deuxième course en sentier plutôt que sur route à vie. La première avait eu lieu quelques jours plus tôt sur le site archéologique de Cucuruzzu. J’avais adoré mon expérience : le fait d’être en pleine nature, entre les roches et les branches, avec toutes les odeurs, les couleurs, la lumière du soleil entre les feuilles, m’avait conquise !

Je ne me souviens plus du nom de l’endroit où s’est déroulée cette deuxième course, mais je me souviens qu’après avoir couru en montée, en descente, en sentier et sur le bord de mer, le chemin se terminait par une descente qui débouchait sur la plage, puis dans la mer… c’est magique. Vraiment.

Quel est ton souvenir de course le plus marquant ?
J’en citerai deux :
Les frissons qui m’ont traversé lors de mon premier marathon, à Toronto, quand j’ai pris à droite plutôt qu’à gauche à l’embranchement où les parcours du demi et du full se séparent.

La sensation ressentie quand j’ai su que je ne complèterais pas mon deuxième marathon en courant, mais que j’irais au bout des 42,2 K, même si ça devait me prendre 7 heures de marche.

As-tu une ou plusieurs personnes à qui tu penses quand on parle de course ?
Il y a plusieurs. Je ne cours jamais seule : je traine avec moi ceux qui m’ont inspiré, motivé, accompagné…

D’abord il y a L. et S… En fait non. D’ABORD il y a cette prof qui m’avait dit à l’âge de 14 ans que si je continuais à mettre aussi peu d’effort dans mes cours d’éducation physique, je n’irais pas loin dans la vie. Comme quoi…

ENSUITE, il y a L. et S., deux profs avec qui je suis partie de Montréal vers le Saguenay avec un groupe d’étudiants d’une école secondaire où j’enseignais. L. m’avait demandé de filmer les jeunes qui se relayaient à la course du Stade olympique jusqu’au site d’arrivée du défi Pierre Lavoie. L’atmosphère de cette aventure, la passion contagieuse de L. et S. et l’énergie des jeunes auront eu raison de moi.

Il y a aussi L., qui a été présent depuis mes débuts. Il m’a vendu ma première paire de bas anti-ampoule quand je courais 10 minutes par semaine pour me délier les jambes ; il m’a ensuite coaché pour mon premier semi-marathon, puis pour ma première tentative de marathon — avortée à cause d’une blessure — et finalement pour mon entrainement pour Boston. Un amoureux de la course qui sait en tirer la part spirituelle et en transmettre le meilleur. Et quand il court, on dirait un danseur qui flotte, ou un fakir dansant. Bref, il est aérien, mais il sait me ramener sur terre et me guider avec de beaux défis.
Il y a aussi P et G, qui étaient du premier groupe de course auquel j’ai participé et qui ont été des supporters invétérés, m’encourageant et croyant en moi, même quand moi je n’y croyais pas.

Finalement il y a Haruki Murakami, l’auteur de l’excellente Autobiographie de l’auteur en coureur de fond, que j’ai lu et relu et re-relu. Il y a ce passage où il écrit que même si la course et la douleur sont fatalement liées, la souffrance ne devrait jamais être de la partie. C’est une approche philosophique teintée de bouddhisme qui me rejoint et qui alimente mes propres réflexions. Ce n’est pas facile courir. Jamais. Ça demande de la motivation, de la détermination ; ça vient avec des petits et des plus grands bobos, mais malgré cette douleur, il faut garder un équilibre et éviter de basculer du côté de la souffrance.