Samedi 15 avril 2017 – 7 h 00:

 

« Salut, Mlle A. Tiens, un petit chocolat de Pâques à déguster à votre retour. »

Après avoir laissé la poule en chocolat dans l’appartement, on embarque dans la voiture. Direction: la frontière.

Gab et moi on se relaie au volant pendant que nos acolytes se reposent de leur dure semaine à l’arrière. 6 heures plus tard, nous voilà devant notre logement. Quelques difficultés à prendre possession des lieux, mais on s’en accommode plutôt bien. L’excitation commence à monter en arrivant dans le centre-ville. On croise de plus en plus de monde arborant les couleurs de la Boston Athletic Association. Puis récupération des kits « participants » à l’exposition. C’est bon? Sortons d’ici et allons manger à l’appart.

Dimanche 16 avril – 8 h 00:
C’est l’heure de la dernière course de nos 4 mois d’entrainement. 30 minutes de décrassage tranquille. Les jambes trépignes.

On passe le reste de la journée à se promener. Doucement. Il faut préserver nos forces. Cambridge, centre-ville, port et sieste dans l’herbe. Il fait 30°C. C’est bon de sortir de l’hiver. On se perd un peu dans les transports en commun, mais on finit par entrer. Il fait beau et chaud. C’est donc dehors qu’on passe notre dernier souper avant la course. Aller hop! Bonne nuit et à demain!

Lundi 17 avril – 5 h 55:
Après moult tergiversations, nous avons fini par conclure qu’il était faisable de se rendre à Hopkinton en voiture. Encore une fois, M. L. démontre sa fiabilité. Il nous conduit à bon port dans les délais impartis. Ça ne m’a pas empêché d’être un peu fébrile à l’arrière, mais je l’aurai été de toute façon je pense. Ensuite, c’est aller très vite.

  • 8 h 15: Arrivée sur le parking
  • 8 h 30: Embarquement dans le bus
  • 9 h 05: Arrivée au village de départ
  • 9 h 15: Je sèche une petite larme d’émotion et je laisse Gab et Mlle A. derrière moi. Leur départ se fera plus tard.
  • 9 h 35: Arrivée aux dernières toilettes avant la zone de départ. Il y en a beaucoup, mais il y a encore plus de monde.
  • 9 h 45: Je n’ai toujours pas accédé aux toilettes. Mon départ est dans 15 minutes
  • 9 h 50: Des coups de sifflet nous enjoignent à rejoindre la zone de départ. J’attends toujours mon tour de toilettes.
  • 9 h 53: 2 avions de chasse passent au dessus de nos têtes pour saluer le départ de l’événement.
  • 9 h 54: Je pars en courant au fond de la zone toilettes. Ça s’est vidé là-bas. J’arrive enfin à cet objectif.
  • 9 h 57: Je suis dans mon corridor et j’attend le départ. Je prend 1 minute pour fermer les yeux. Je me concentre sur mon souffle et essaie de faire abstraction du reste.
  • 10 h 00: Les Kényans s’élancent.
  • 10 h 03: Je passe la ligne de départ, déclenche mon application, ajuste ma ceinture de Batman et ma casquette. On y est. Profitez bien de vos 3 minutes d’avance, messieurs.  Il fait 25°C.

« Ne part pas trop vite », disaient les conseils
Et moi de songer : « Oui, bien sûr. Comme toujours

Je n’avais pas compris que le simple fait de suivre le rythme de la vague, c’était déjà partir trop vite. Tout le monde est euphorique et tout le monde cherche à se sortir de la masse pour pouvoir courir à son aise. Lors de mes précédents marathons, ce phénomène avait duré quelques kilomètres. Ensuite, le peloton s’étirait et il était plus facile de se mettre à son rythme. Pas cette fois. Les kilomètres avancent et au 21e j’ai toujours devant moi une marée humaine à perte de vue. C’est donc ça 30 000 personnes qui courent en même temps! C’est impressionnant.

Poussé par le réflexe de m’extraire de la masse et aussi, il faut le dire, par ce petit espoir de descendre en dessous de la barre des 3 h, je file et je me fraie un chemin. Notamment au niveau des points d’eau où c’est la cohue à chaque fois. En temps normal j’en aurai sauté quelques uns, mais sans mes gourdes et avec cette chaleur, ça n’est pas prudent. Je bois à en avoir mal au ventre. Dilemme: Déshydratation ou mal au ventre?

J’ai l’habitude de courir au feeling, sans me soucier de mon pace. Aujourd’hui, je suis servi. J’ai découvert hier qu’en plus de mes gourdes, j’ai oublié ma montre à Montréal. Une petite montre de rien du tout mais que j’aime bien quand même. Puis on ne parle pas de kilomètres ici, mais de miles. Mais ça, c’était plus attendu déjà. Pour me faire une idée de mon allure, j’ai dû essayer de faire des projections en me fiant aux nombreux chronomètres officiels. Variables:

  • A: J’enlève 3 minutes au temps indiqué.
  • B: 1 mile égale 1.2 kilomètres.
  • C: Mon allure va diminuer sur la fin.

De quoi m’occuper l’esprit un petit moment en somme. Je calcule, je calcule, mais j’ai aussi très chaud. Avec cet entrainement hivernal, je me pensais prêt à toute éventualité. Je n’avais pas prévu d’avoir à gérer un écart de température de près de 25°c en l’espace de 2 jours.

Ça ne m’empêche pas au 5e kilomètre, grâce à mes calculs aléatoires, d’arriver à la conclusion que je ne vais pas assez vite pour atteindre l’objectif. Ni une ni deux, j’essaie de pousser un peu plus. Rapidement, je commence à croiser des participants qui marchent. Leur nombre ne fait que s’accroître avec les kilomètres qui passent. Je n’en avais jamais vu autant. Mon rythme cardiaque est emballé et je n’arrive pas à le stabiliser. C’est un signe. Je dois ralentir, c’est logique! Pourtant, je conserve mon rythme en comptant sur ma capacité à encaisser. Ça fonctionne un temps et je passe le demi-marathon en 1 h 30 selon les temps officiels. Je sais que je ne descendrai pas sous les 3 h aujourd’hui.

Et puis là, c’est un peu flou. Je ne sais plus trop à partir de quand, la moindre petite dénivellation positive est devenue une difficulté.

« Il faut avoir les quadriceps armés pour la descente », disaient les conseils.
Et moi de penser : « Mont-Royal, Vieux-Port, trails… je pense que ça ira. »

Encore une fois, je n’avais pas saisi la portée de ce conseil. C’est la première fois que courir en descente m’atteint ainsi. À mi-course, j’avais déjà du mal à soulever les cuisses. Voyant bien que les crampes pourraient arriver, je sors ce truc anti-crampe que l’organisation nous a fourni. Je l’ouvre, je presse… c’est blanc… j’en met un peu dans ma bouche…!?&# c’est quoi cette texture?… C’est de la crème @&#±??!! Crache, frotte, crache, trouve de l’eau, crache, rince, crache… Puis essaie d’étaler ce que j’ai sur mes cuisses tout en courant. Oublie les mollets, c’est impossible sans s’arrêter. Bravo, toute une réussite. J’ai eu de la chance de ne pas en avaler, ma course se serait surement arrêtée là.

Avant même le fameux 26e kilomètre, j’envisage l’option de marcher. Les côtes sont pénibles, quelles qu’elles soient. C’est à l’orgueil que je passe le point charnière de ce marathon. Situé entre le 26e et le 34e kilomètre, il y a 4 paliers à franchir pour arriver en haut d’Heartbreak Hill. Tout le monde en a tellement parlé, il n’est pas question que je me laisse faire. Cette côte, je la franchirai. Je m’interdis de flancher. 1, 2, 3 puis 4 paliers, et voilà, j’y suis finalement arrivé. À vitesse très réduite parfois, mais c’est fait. Quand? Je ne sais pas trop. Ce marathon m’a déjà réservé tellement de surprises que je suis sur mes gardes. Je ne veux pas croire que c’est terminé. Je ne veux pas crier victoire trop vite. C’est le public qui m’apprend que j’ai complètement dépassé l’obstacle.

Je suis maintenant au kilomètre 35. Conscient que je n’améliorerai pas mon temps cette fois-ci. Fatigué, voyant les nombreux marcheurs autour de moi, je décide de me ranger tranquillement à la droite de la route et de marcher à mon tour. Après tout, ça ne change pas grand-chose. Mettons fin à ces souffrances. J’ai donné mon maximum, mais aujourd’hui ça n’était pas suffisant.

Contrairement à Philadelphie que j’avais vécu comme une grande déception, je suis immédiatement serein avec ma décision. J’ai marché 2,5 kilomètres en tout. Ça m’a paru tellement plus. Sur le coup, le temps s’allonge.

Arrêt #1
Comme à chaque fin de longue course, j’ai un moment d’étourdissement. Après avoir récupéré un peu de lucidité, je trouve de l’eau. Ça faisait quelques kilomètres que l’eau n’avait pas été aussi agréable à ingérer.  Je sors ma barre Trailmix. Plus tôt, j’avais renoncé à la manger à cause de ma bouche trop sèche. Les gens du public me parlent beaucoup. Tous pour me dire à peu près la même chose :  » You can do it! You’re almost there « .  Je leur souri, je tape dans les mains et je cherche l’ombre au maximum. Autour de moi, beaucoup de coureurs en détresse. Certains sont perclus de crampes, d’autres ont fait des chutes et se sont un peu amochés. Au bout d’un kilomètre, je tente ma chance. Les jambes sont dures et ne se plient pas beaucoup, mais j’arrive quand même à avancer. Je n’ai pas été très stratégique. Ça monte. Manquerais-je un peu de lucidité? Le résultat est là: moins d’un kilomètre plus loin, je stoppe à nouveau.

Arrêt #2
Court arrêt cette fois-ci. Un Irlandais nommé Michael, engage la conversation. Rapidement, il me propose d’essayer de reprendre la course ensemble. J’accepte et continue la conversation pour passer le temps et moins penser à la douleur. Il finit par s’arrêter, mais il m’a donné un élan et je continue un peu seul. Ça ne sera malheureusement pas l’élan final.

Arrêt #3
Aux alentours du 40e kilomètre, je vais marcher un peu plus d’un kilomètre cette fois. Finalement, je croise Stéphane avec son t-shirt du marathon de Montréal. Je l’aborde. Il veut finir en 3 h 30, mais il n’a plus de jambes. Il est encore dans les temps alors je lui propose d’essayer d’atteindre son objectif ensemble. On repart. Là encore, j’alimente la conversation pour nous occuper l’esprit. Ça ne suffit pas, il va devoir s’arrêter à nouveau et me laisse partir. Cette fois, il m’a donné le coup de pouce final. Mes jambes sont plus déliées, j’ai moins de sensations désagréables un peu partout. Finissons-en!

​Je reconnais l’endroit, c’est la dernière côte, puis le dernier virage, puis la dernière ligne droite… et la ligne d’arrivée, là-bas, tout au fond. Pour finir ces derniers mètres de résilience et de partage, il y a ce concurrent #305. Il a visiblement renoncé à performer aujourd’hui et me lance en me tapant dans la main:
 » Here we are! Congrats! Great job! You’ve done it!  »

Je n’en demandais pas tant. Je passe la ligne d’arrivée avec un petit sourire. Ça fait du bien!
3 h 28, ça sera mon temps pour ce marathon de Boston.

  • 13 h 31: Je replonge dans la foule des participants après la ligne d’arrivée. Je prends ma banane et ma médaille, je m’étire et je rejoins notre point de rendez-vous à la lettre L comme M. L. J’attendrai plus de 2 h que mes 2 acolytes me rejoignent. Puis métro, puis douche, puis une petite sieste.
  • 19 h 00: Port de Boston, restaurant Barking Crab. C’est l’heure de l’apéro et du homard. Mes douleurs à l’estomac se calment juste le temps d’apprécier ces douces récompenses.

Mardi 18 avril – 8 h 00 :
C’est quartier libre ce matin. Avant de prendre le chemin du retour, nos jambes courbaturées vont se dégourdir dans une petite promenade. Puis, M. L. va nous ramener à bon port en début de soirée. C’est là que l’aventure se termine. Mais j’y pense encore. Je ne suis pas encore sûr des conclusions que j’en tire.

  • 18 h 37: Il faudra fêter Pâques autrement 🙂

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